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Adam, Eve et le patriacat

Pour parler de patriarcat, rien de tel qu’une petite question choc : « pourquoi Dieu a-t-il créé Ève ? » C’est par cette question qu’un homme a commencé son témoignage au pupitre. Et honnêtement, je ne me souviens plus précisément de ce qu’il a dit après (si ce n’est que c’était dans la même veine), tellement la question m’a interpelée. C’était comme si les éléments d’un puzzle s’assemblaient dans ma tête. J’ai réalisé que tout le système patriarcal vient probablement de cette histoire.

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Ou plutôt, c'est le contraire, l’histoire a émergé du patriarcat. En tout cas, le lien devenu clair pour moi. Une fois l’histoire du livre de la Genèse acceptée littéralement (l’homme est créé en premier, puis la femme est créée pour lui, l’entraîne dans la chute, et ils reçoivent chacun des malédictions spécifiques), alors le rôle des genres et le patriarcat découle naturellement.

Alors ça marche pour le judaïsme et le christianisme. Pour l’islam, il semblerait que le rôle que joue Ève dans la chute soit moins critique (d’ailleurs son nom n’est même pas mentionné dans le Coran). Ceci dit l’Islam s’est développé dans un monde déjà saturé de patriarcat.

Le patriarcat promeut, de manière plus ou moins variée, subtile ou étayée, la supériorité du masculin sur le féminin depuis plusieurs millénaires. Ceci est illustré par la valeur symbolique du serpent. Les mythes les plus anciens de l’humanité (traditions orales des aborigènes d’Australie, contes mésopotamiens, asiatiques, égyptiens, amérindiens…) décrivent le serpent ou le dragon comme un être puissant, incarnant les forces à la fois destructrices et créatrices de la nature. Il garde le passage avec l’autre monde, protège la vie, il est à la fois masculin et féminin et donne accès à la connaissance et à la guérison.

Puis on observe une transition : le serpent est alors associé davantage au féminin et à la Déesse, dont le pouvoir est contesté par les dieux. Il symbolise les forces chaotiques de la nature qu’il faut dompter et commence à avoir le mauvais rôle. C’est le début des empires et du patriarcat. Pour régner, les dieux ou héros (Zeus, Horus, Héraclès…) doivent le terrasser, pour faire régner l’ordre. La valeur symbolique du serpent change alors drastiquement et il se met à représenter le mal (voir l’Apocalypse de Jean, où le dragon ou antique serpent est terrassé).

En terme de symbolique toujours, le récit de la Genèse semble se situer précisément à la transition avec le patriarcat. On y voit le serpent servant la connaissance et l’éveil de la conscience (« vous ne mourrez pas, mais serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal ») mais le récit lui attribue le rôle du méchant et il est puni. Adam et Ève doivent alors maîtriser les forces de la nature. Le principe Masculin, ou Yang, avec son côté rationnel et structuré, doit garder le contrôle du principe Féminin, ou Yin, plus émotionnel et chaotique.

C’est un vaste sujet et j’y reviendrai, mais je ne peux m’empêcher de penser que Nietzsche, quand il critiquait l’abandon de Dionysos (le chaos et les forces créatives) au profit d’Apollon (l’ordre et la structure), parlait un peu du même thème...


Commentaires

Dans l’église on a changé le rôle d’Eve, elle n’est plus celle qui a fait chuter Adam. Pourtant le patriarcat est toujours bien ancré. Je me demande si c’est l’influence du Christianisme qui a pris le dessus, la culture occidentale où s’est développée l’église, autres facteurs….

Je dirais que même si on dit que le rôle de Eve n'est plus le même, en pratique l'église s'est (se) construit sur des siècles de patriarcat soutenu religieusement, donc dans l'inconscient collectif (la manière dont on raconte les histoires, sans vraiment le réaliser), ce n'est pas étonnant que la version patriarcale soit bien présente. Après le patriarcat est une manière de voir et de fonctionner qui a des racines à plusieurs niveaux j'imagine, pas seulement dans un des mythes fondateur, donc même sans ce mythe ou avec un mythe différent il y a des chances pour qu'on n'y ait pas échappé Quand tu regardes les livres d'écriture et le poids du patriarcat (tous les patriarches, poids des valeurs masculines comme le combat, l'ordre, les commandements, etc), ce n'est pas étonnant au final...