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Pourquoi quitter une religion - selon les croyants

Série Changement de croyances, POST 1

Commençons par les idées standard au sein d’une communauté croyante concernant les raisons pour lesquelles on pourrait vouloir la quitter.

1. Se laisser distraire ou séduire par des fausses idées

Quand on est convaincu de détenir la vérité, et que cette vérité a beaucoup de valeur, à la fois pour cette vie et pour l’après-vie, il paraît évident de regarder autour de soi et de considérer que ceux qui ne s’alignent pas avec cette vérité sont plus ou moins dans l’erreur. Alors, ce n’est sans doute pas de leur faute, ils ne connaissent pas encore la valeur de la vérité totale1.

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Mais quid de ceux qui ont été convaincus de la vérité puis s’en éloignent ? Ils ont Les réponses, pourquoi aller en chercher d’autres ailleurs ? Une explication standard consiste à considérer que les « philosophies du monde » sont tentantes, et qu’elles peuvent détourner même les élus. Par attrait de telle ou telle idée intellectuelle, certains peuvent « s’enfler d’orgueil », penser savoir par eux-même et ne plus écouter Dieu ou ses représentants. Ils sont trompés par le diable ou ses représentants.

Une variante consiste à penser que les personnes éprouvant des doutes sur leur religion et sa légitimité font preuve d’un manque de foi. Ils laissent certains éléments les détourner de leurs convictions centrales, et mettent l’accent sur les mauvaises choses. Encore une fois, ils sont trompés.

2. Manque d’envie de se conformer avec les commandements divins

Quand on est convaincu de détenir la vérité, et que cette vérité a beaucoup de valeur, à la fois pour cette vie et pour l’après-vie, il est souvent normal de s’investir à fond. Tout ce que Dieu commande est important, capital même. L’obéissance devient une valeur cardinale, et la désobéissance un péché lourd de conséquence. Même les petits écarts sont potentiellement dangereux, car ils peuvent mener à une pente savonneuse. Et si le travail à fournir peut demander beaucoup de sacrifices, la satisfaction de sentir qu’on travaille à son salut et à celui de ses proches vient apporter un sentiment de paix.

De ce point de vue, il est plutôt tentant de considérer que ceux qui s’éloignent de ce modèle de vie le font par manque de motivation vis-à-vis des sacrifices demandés. Il peut y avoir un aspect actif à ce manque de motivation : ils peuvent avoir envie de « pécher », être attirés par des comportement interdits (envie de plus de liberté sexuelle, d’utiliser leur temps comme ils le veulent… les exemples ne manquent pas).

Il peut également y avoir un aspect plus passif : au lieu d’être motivé par le fait d’aller voir ailleurs, ils peuvent simplement ne pas être motivés pour faire ce que Dieu leur commande de faire. Peut-être vivent-ils l’orthopraxie (1) de leur religion comme une contrainte, ratant par là-même le but de ces contraintes, vécues par les membres fidèles comme une manière de se rapprocher de Dieu.

  1. pratique, façon d'agir avec justesse et rectitude suivant le droit et la justice. Dans le domaine religieux, l'orthopraxie désigne une conduite qui est en conformité avec les rites prescrits par la religion.

Une manière de voir typique également est de considérer que les personnes s’éloignant font preuve de paresse intellectuelle ou spirituelle : ils n’investissent pas assez d’effort dans les études ou les exercices spirituels qui pourraient, s’ils prenaient la peine de s’y atteler, renforcer leur conviction et détermination. L’idée se décline soit selon l’axe « la conviction s’est érodée petit à petit, » ou bien l’axe « la conviction n’a au final jamais été solide » (ce qui, au passage, s’apparente à un sophisme du vrai écossais2 (1), voir à du gaslighting3 (2)), mais il s’agit du même argument : « leur conviction spirituelle est faible » (comprendre : trop faible pour résister aux fausses idées du monde, voir le point 1 ci-dessus).

  1. Erreur de raisonnement consistant à écarter un contre-exemple à une généralisation, en affirmant que ledit contre-exemple n'appartient pas vraiment à la catégorie qu'on cherchait à généraliser. Exemple : « Un vrai croyant ne peut pas perdre sa croyance » - « Pourtant j’ai eu la conviction de telle croyance, mais à présent je ne suis plus si convaincu… » - « Dans ce cas, tu n’as jamais vraiment eu de conviction ».

  2. Procédé manipulatoire visant à déformer les faits pour faire douter son interlocuteur de ses perceptions, sa mémoire, voire sa santé mentale.

3. Conflits et rancunes : être offensé

La troisième grande catégorie d’explication concerne une émotion souvent mal comprise et mal acceptée par les religions : la colère. Les être humains ayant des personnalités variées, dès qu’on en rassemble un certain nombre, immanquablement des tensions et conflits émergent, et les groupes religieux ne font pas exception. Mais pour un croyant fidèle, ces conflits ne sont en aucun cas une excuse pour faire défection. Il est donc difficile pour certains de comprendre ceux qui, suite à plusieurs prises de bec avec Frère Untel ou Soeur Unetelle, décident de s’éloigner du groupe.

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De telles personnes, même pour des adeptes qui pourraient être de leur côté, sont plus ou moins perçues comme ayant un orgueil mal placé. Laisser un sentiment de colère ou de rancune les empêcher de participer au culte est vu comme dommage, voire un peu stupide. Et ce d’autant plus que le fait d’être « offensé » est considéré comme un choix (1), la personne en question pouvant (facilement) faire un choix différent (2).

  1. Dans un fameux discours4, un dirigeant religieux explique que « il est faux, à la base, de croire que quelqu’un d’autre nous a offensé. C’est nous qui choisissons de nous offenser de quelque chose » (italiques dans l'original).

  2. Et pourtant ce n’est pas si simple. Déjà le fait d'être heurté par quelqu'un ou quelque chose n'est pas quelque chose qu'on peut choisir : on ne contrôle pas nos émotions, on les vit et on y réagit. Ensuite, même si reconnaître qu'on a le choix de la réponse permet de se rendre propriétaire de sa vie et de sortir de la mentalité de victime (ce qui est effectivement important et sain), croire qu'être offensé est exclusivement un choix est excessif pour deux raisons : 1- cela tend à absoudre l'autre de sa responsabilité dans l'histoire : il peut nous dire ou nous faire ce qu'il veut sans se sentir inquiété puisque notre réaction "nous appartient". En réalité les autres peuvent avoir des comportements face auxquels il est naturel et bon d'être en colère et de poser des limites (sans pour autant verser dans la rancune ou la vendetta). 2- cela ne prend pas en compte à quel point nous sommes des êtres complexes, traversés par de nombreuses émotions et motivations, la plupart du temps inconscientes. Un être éveillé et parfait choisirait de s'offenser en pleine conscience. Mais la plupart d'entre nous n'avons pas assez de recul (et avons trop de blessures internes non travaillées et guéries) pour être en pleine possession de nos moyens 100% du temps.

Conclusion

En définitive, pour les adeptes, il n’y a souvent pas vraiment de « bonne » raison de s’éloigner d’un groupe détenant la Vérité. Une personne le faisant commet soit un péché d’orgueil (en s’offensant ou en se mettant à agir ou penser différemment) soit un péché de paresse (en refusant de nourrir sa conviction ou de pratiquer le dogme). Toute autre raison invoquée par les ex-croyants (CF article suivant) sera difficilement acceptée, et vue plutôt comme une excuse pour ne pas assumer les « vraies » raisons.

Je peux déjà entendre certains de mes lecteurs s’offusquer qu’ils ne pensent pas du tout ainsi. Et c’est tant mieux ! Je simplifie et force un peu le trait volontairement. Car de par mon expérience, ce que je viens de décrire est probablement présent dans chaque personne un peu orthodoxe, de manière plus ou moins consciente, et plus ou moins recouvert d’une couche de compassion et d’empathie. Et ce type de raisonnement ressort régulièrement dans des conversations entre croyants ou dans des sermons (1).

  1. J’en ai encore eu l’exemple flagrant le week-end dernier lors de la conférence de pieu…

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Commentaires

Extrait d'un discours d'un apôtre LDS sur ce thème :

On pourrait se demander : « Si l’Évangile est si merveilleux, pourquoi certains le quittent-ils ? » On suppose parfois que c’est parce qu’ils ont été offensés, ou parce qu’ils étaient paresseux ou encore pécheurs. En réalité, ce n’est pas aussi simple. En fait, il n’y a pas qu’une seule raison qui s’applique à toutes les situations.


  1. D&A 123:12 : beaucoup ... sont aveuglés par la tromperie des hommes et ... ne sont empêchés d’accéder à la vérité que parce qu’ils ne savent pas où la trouver. » 

  2. Article Wikipedia sur le Sophisme du vrai écossais 

  3. Article Wikipedia sur le gaslighting 

  4. Et rien ne les offensera, David A. Bednar, octobre 2006